Un avis du CCNE sur les mesures de protection dans les EHPAD

Un avis important du Comité Consultatif National d’Ethique concernant les mesures de protection dans les EHPAD et les USLD.

Edit Printemps 2021 : Avec un peu de recul, on peut noter que les équipes de nombreux établissements ont réussi à suivre ces recommandations, mais qu’en revanche aussi bien le gouvernement que le ministère concerné et les ARS les ont le plus souvent absolument ignorées et méprisées.

30 mars 2020

CCNE – Réponse à la saisine du ministère des solidarités et de la santé sur le renforcement des mesures de protection dans les EHPAD et les USLD

Monsieur le Ministre,

Par une saisine du 25 mars 2020, vous avez souhaité recueillir l’avis du CCNE sur la question du renforcement des mesures de protection dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et les unités de soins de longue durée (USLD). Dans le contexte d’état d’urgence sanitaire, qui s’accompagne de mesures restrictives des libertés publiques et individuelles, le CCNE est donc sollicité pour apporter un éclairage éthique sur la question suivante : « Au regard de ses avantages sur le plan de la santé publique mais aussi des conditions à mettre en œuvre pour garantir le respect du confinement par les résidents, y compris les résidents atteints de troubles cognitifs, une décision nationale de confinement préventif de l’ensemble des résidents paraît-elle justifiée ? Si oui, quels garde-fous devraient être prévus par le Gouvernement ? »

Au préalable, il conviendra de noter que la réponse à cette saisine, attendue dans des délais très courts compte tenu de l’urgence d’une prise de décision en la matière, est difficilement compatible avec une réflexion éthique approfondie qui suppose un regard pluridisciplinaire sur la question posée et la possibilité d’un dialogue confrontant des opinions pouvant être différentes.
Néanmoins, malgré ce temps court, le CCNE a rapidement mis en place un groupe de travail1 qui s’est réuni le 27 mars 2020, puis a élaboré un projet de lettre de réponse transmis, dans la même journée, à l’ensemble des membres du CCNE, et discuté avec eux.

La présente réponse synthétise ces discussions en assumant une modestie délibérée dans les circonstances actuelles. Il s’agit pour le CCNE de proposer quelques repères simples : (1) rappeler les avis et principes éthiques les plus généraux ; (2) prendre avec toute la modestie requise la pleine mesure de la situation d’urgence actuelle, notamment pour les soignants ; (3) évoquer quelques pistes concrètes pour le respect des principes dans ce contexte particulier.

Le CCNE a été amené à se prononcer à plusieurs reprises sur les enjeux éthiques liés à la prise en charge de patients en cas de pandémie, dans son avis 106 de 2009 sur « Les questions éthiques soulevées par une possible pandémie grip- pale » et dans sa contribution récente du 13 mars 2020 sur « Enjeux éthiques face à une pandémie ». Par ailleurs, dans son avis 128 (Enjeux éthiques du vieillissement, 2018), le CCNE avait interrogé le sens de la concentration des personnes âgées entre elles dans des établissements dits d’hébergement.

Enfin, un travail de veille réalisé durant la gestion de la crise COVID-19 concernant les personnes vulnérables du fait de l’âge, du handicap ou de l’état psychiatrique avait dégagé les problématiques éthiques relatives à la rupture de la relation en raison du confinement et de l’interdiction de visites des familles en EHPAD2, le risque affectif de l’isolement, d’une séparation absolue d’avec les autres, en particulier d’avec la famille et les personnes significatives pour chacun, s’ajoutant alors au risque épidémique.

Au regard de ces travaux et dans le contexte actuel, le CCNE rappelle que les principes éthiques fondamentaux doivent être respectés. L’urgence sanitaire peut justifier que des mesures contraignantes soient, à titre exceptionnel et temporaire, exercées pour répondre à la nécessité d’assurer la meilleure protection possible de la population contre la pandémie, mais cette situation d’urgence ne saurait autoriser qu’il soit porté atteinte aux exigences fondamentales de l’accompagnement et du soin, au sein de l’établissement ou en structure hospitalière. Le respect de la dignité humaine, qui inclut aussi le droit au maintien d’un lien social pour les personnes dépendantes, est un repère qui doit guider toute décision prise dans ce contexte où les équipes soignantes et administratives, ainsi que les auxiliaires de vie, dont le dévouement exemplaire est à juste titre souligné par tous, sont de plus en plus confrontés à des situations dramatiques. Ces situations engendrent aussi des risques croissants pour eux-mêmes et leurs proches, qui enferment les soignants dans ce dilemme : se dévouer pour soigner, avec le risque pour soi-même et les autres d’être infecté par le soin que l’on prodigue.

Le CCNE avait déjà alerté, dans son avis 128, de la situation parfois difficile que rencontraient les personnes âgées dans les établissements d’hébergement. La crise sanitaire actuelle est révélatrice du manque de moyens préexistants, notamment humains, dans ces établissements. La pénurie de personnels et des ressources indispensables aujourd’hui (masques de protection, tests de détection), dans un contexte d’isolement déjà installé, exacerbe les difficultés auxquelles les professionnels de santé doivent faire face dans l’urgence.
Toute mesure contraignante restreignant les libertés reconnues par notre État de droit, notamment la liberté d’aller et de venir, doit être nécessairement limitée dans le temps, proportionnée et adéquate aux situations individuelles. Elle doit être explicitée aux résidents, aux familles et aux proches-aidants, et soumise à contrôle.

Un renforcement des mesures de confinement pour les résidents des EHPAD et des USLD, voire des mesures de contention pour ceux dont les capacités cognitives ou comportementales sont trop altérées pour qu’ils puissent les comprendre et les respecter, ne saurait être décidé de manière générale et non contextualisée, tant la situation des établissements diffère.
Le CCNE rappelle vivement que l’environnement familial ou amical dont les résidents ne peuvent plus momentanément profiter est, pour nombre d’entre eux, le lien qui les rattache au monde extérieur et leur raison essentielle de vivre, comme en témoignent de façon unanime les professionnels de terrain. Les en priver de manière trop brutale pourrait provoquer une sérieuse altération de leur état de santé de façon irrémédiable et même enlever à certains le désir de vivre. La prise de conscience de cette situation est aussi de nature à causer à leurs proches une souffrance majeure à laquelle il faut être particulièrement attentif.
Avant toute prise de décision au cas par cas et pour tempérer la rigueur incontestable des mesures d’isolement et de contrainte, tous les moyens (humains et ressources) doivent être identifiés et mobilisés, dans chaque établissement : personnels disponibles, y compris dans l’environnement de l’établissement, utilisation contrôlée de locaux disponibles et d’espaces extérieurs ou de loisirs, recours aux nouvelles technologies de communication numérique, dans le respect des règles générales de prévention.

Le déploiement rapide de moyens humains nécessaires pour remplacer les professionnels arrêtés pour maladie afin que les soins de base (se nourrir, se laver, se déplacer) soient toujours assurés, ainsi que des moyens supplémentaires (par exemple, pour assurer la protection sanitaire et l’accompagnement) est nécessaire en ce domaine, en n’omettant pas de prévoir des moyens humains nouveaux en compétences, pour faciliter des médiations à distance entre la famille et les résidents confinés, ainsi que la présence de volontaires bénévoles, souvent indispensables pour permettre, par exemple, l’utilisation effective des nouvelles technologies par des populations qui n’en ont pas toujours la maîtrise, s’agissant des résidents comme des personnes de l’environnement familial.

A titre d’exemple, l’espace de liberté laissé aux résidents, nécessairement variable selon les établissements, et au sein même de chacun d’entre eux, pourrait se traduire par l’organisation de secteurs séparés, les uns réservés à l’accueil de personnes chez lesquelles la recherche de l’infection par le COVID-19 s’est révélée positive, les autres aux résidents non atteints, mais pour lesquels un dépistage régulier permettrait de réévaluer périodiquement le statut infectieux de la personne.

La préservation d’un espace de circulation physique, même limité, nous semble impératif en dépit des mesures d’isolement, afin d’éviter que le confinement, quelle que soit sa justification au regard des impératifs de santé publique, ne devienne pour ceux qui n’ont plus la liberté de choisir leur cadre et leur mode de vie, une mesure de coercition.
Pour les résidents « testés négativement », la visite de proches, eux-mêmes contrôlés négativement, pourrait être autorisée, dans des conditions strictes de sécurité sanitaires. Cette proposition exige évidemment que des tests puissent être proposés à grande échelle.

Concernant les familles et les proches aidants qui souhaitent que le résident puisse au moins temporairement les rejoindre à leur domicile, de telles initia- tives devraient être encouragées, après avoir bien entendu recueilli l’assentiment du résident et pratiqué des tests permettant de prévenir des risques de contamination intrafamiliale. Une aide appropriée devrait être apportée à ces familles pour leur permettre de dispenser les soins nécessaires. Ces préconisations ne peuvent être mises en œuvre que si les établissements disposent de la possibilité d’assurer les tests de dépistage du COVID-19 auprès des personnels et des résidents.

Le CCNE rappelle donc l’impérieuse nécessité de faciliter la mise en place des tests de dépistage dans ces établissements et l’accès aux moyens de protection pour le personnel, comme pour les résidents.

Enfin, un accueil organisé pour les familles et les proches aidants, parfaitement régulé et sécurisé avec les protections qui s’imposent, pourrait également être envisagé, en particulier pour les résident(e)s en fin de vie.
Concernant plus particulièrement les personnes présentant des troubles cognitifs, vouloir leur imposer un confinement est extrêmement complexe, pouvant engendrer d’autres risques, notamment la décompensation psychique. Comment imposer une mesure de restriction des libertés qui ne peut pas être comprise, entre autres parce que les enjeux ne peuvent pas être mémorisés ?

Les mesures de santé publique et de confinement reposant sur le principe de la compréhension, par chacun, de ces dynamiques de solidarité, qu’en est-il des per- sonnes qui ne sont plus en état d’assumer leur propre responsabilité, mais qui vivent encore à domicile ou en établissement ouvert (résidence autonomie, EHPAD hors secteur fermé) sécurisé par la routine soignante instaurée au quotidien, désorganisée aujourd’hui par défaut de soignants ? Faudra-t-il aller jusqu’à contraindre ces personnes en leur appliquant des mesures de contention, physique ou pharmacologique ? La réponse à cette question complexe est loin d’être évidente, mais pour chaque situation, cette question doit être posée et la réponse élaborée en fonction du contexte spécifique. Elle doit être surtout le fruit d’une discussion préalable, interdisciplinaire et collégiale, associant des échanges avec des personnes extérieures à l’institution, comme les professionnels des équipes mobiles de gériatrie, ainsi que les proches, sans jamais oublier que l’on peut nier l’humanité de la personne en niant le sens qu’a sa déambulation.

Tout renforcement des mesures de confinement doit ainsi être décidé par le médecin coordonnateur et le directeur de l’établissement, en lien avec les instances et tutelles dont ils dépendent. Il doit être adapté aux capacités de chaque établissement, avec une information, constamment tracée et en toute transparence, des mesures prises à l’adresse des professionnels de santé, des personnels et bénévoles des établissements, des usagers et de leurs familles et des proches aidants, ainsi que des citoyens.
Pour la mise en œuvre pratique de ces préconisations, le CCNE rappelle sa recommandation du 13 mars 2020 de mettre en place des cellules éthiques de soutien.

En vous assurant de notre disponibilité dans le cadre de notre mission consultative, veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre soutien.
Karine Lefeuvre
, Présidente par interim du CCNE.

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Le rapport du CCNE en pdf :

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L’association CIF-SP Solidaires entre les Âges

Il existe peu d’associations ayant la lutte contre l’âgisme au coeur de leurs actions comme de leurs réflexions. D’où l’intérêt de présenter l’une de celles visant à ne pas séparer les âges, à renforcer les liens entre recherche-réflexion et pratiques.

CIF-SP Solidaires entre les Âges :

Participer à une mise en œuvre d’ une démocratie inclusive en partant du lien social et de l’utilité sociale.

Construire, agir, des actions de solidarités intergénérationnelles (pôle monalisa), Analyser la place de la personne dite âgée dans la société et les raisons de cette place, analyser les effets de nos actions (pôle recherche), transmettre ce qui en ressort dans un esprit d’éducation populaire (pôle formation) et lutter contre les discriminations et violences faites aux public vulnérables (Cellule Alma 3977)

Présentation détaillée :

Créée en 2006, comme organisme de formation et de ressources dédié aux emploi de l’aide à domicile et en particulier de l’emploi direct, notre structure a évolué.

Expert en analyse des systèmes, l’association réalise l’évaluation externe des ESSMS, de l’accompagnement à la création d’entreprise dans les SAP, l’innovation en lien social avec la question du vieillissement.

Depuis nous marions la recherche, l’éducation populaire, l’action de solidarité et la lutte contre les discriminations. Ces 4 pôles s’enrichissent mutuellement.

Pour tenter de synthétiser, notre association « Solidaires entre les âges » a pour projet de faire de la mise en commun des fragilités une force et une capacité de résilience des individus, « vieux » comme « jeunes ».

L’association c’est plus de 350 adhérents (au 31/12/19), dont 15 personnes morales (communes et CCAS, un centre d’activité de loisirs pour personnes âgées, En Tous Genres …),

– 120 bénévoles visites, activités co, appels, d’une quinzaine de nationalités

– 100 bénévoles chauffeurs du transport solidaire

(depuis le 16 mars 2020) 223 nouveaux bénévoles inscrits pour le dispositif d’aide aux courses) (79 et 86)

– 450 personnes dites « âgées » ou fragiles qui bénéficient d’une des actions régulières lien social

(depuis le 16 mars 2020) 130 nouveaux ménages (couple ou seul) bénéficiant de la plate-forme d’aide aux courses

Le siège social est situé à l’Appart (Aux Couronneries) à Poitiers

Ce lieu nommé avant « Centre de loisirs pour personnes âgées » en 2016 (premier lieu comme cela en France), est désormais un lieu où il n’y a plus les plus jeunes qui aident les plus vieux mais un lieu où les différences s’entraident.

Il se nomme « Bouche à Oreille » et tend à ouvrir 7 jours/7

Le quartier des Couronneries c’est le lieu de notre action « d’entraide intergénérationnelle » ou SEL (service d’échange local) Intergé.

Nous somme implantés en milieu rural, sur quasiment toute la Vienne avec des activités collectives intergénérationnelles. Citons le succès de nos ateliers numériques « les seniors connectés ». Un développement récent dans le Sud 79.

L’association comporte 4 pôles : un pôle formation, un pôle recherche-action, un pôle MONALISA, et, depuis pôle ALMA (3977).

I. La cellule d’écoute Allo Maltraitance (Alma) que nous portons sur la Vienne, nous fait malheureusement ouvrir environ 80 dossiers de maltraitance réelles ou supposées, ce numéro concerne les personnes âgées et aussi les adultes handicapés. Nous couvrons Vienne et Charentes Maritimes, mais intervenons aussi sur la Charente et les Deux-Sèvres sur des animations prévention

II. Le pôle formation : l’association propose des formations courtes et sur mesure à destination des professionnels de l’aide à la personne, que ce soit à domicile ou en institution (l’association est labellisée IPERIA pour les professionnels travaillant en CESU (chèque service) et en mandataire, Datadocké). Elle a conduit 10 reprises le Titre ADVF et est désormais certifiée pour le Titre ADVD (également au RNCP).

L’association dispense des formations pour les bénévoles et des volontaires en services civiques, tant sur le vieillissement que le lien social, la république, la laïcité.

L’association forme 500 à 800 stagiaires par an et beaucoup de salariés des SIAE. Elle porte les Relais Assistants de Vie dans la Vienne (RAVie).

III. Le pôle Recherche-action co-anime des enquêtes, socio, psycho ; établit des rapports sur les actions en lien avec le public âgé ; créée des outils et propose des actions de sensibilisation à destination d’un large public, en partenariat avec des acteurs universitaires, professionnels du médico-social, associatifs, etc.

En 2018, le CIF-SP a notamment édité son 3ème guide pratique intitulé « Vieillir, et alors ? Petit manuel de lutte contre les discriminations ». En 2019 est sorti son quatrième guide « S’aimer à Tout Âge ».

L’association accueille une dizaine d’étudiants, de master I ou II, chaque année, dans le domaine de la gérontologie sociale. L’animation territoriale, l’évènementiel (colloque) et les évaluation Internes et Externes font partie du pôle Recherche Action.

Le CIF-SP a mené avec la MSHS, le premier colloque sur l’âgisme en France ayant réuni 150 participants à POITIERS le 26 Novembre 2019.

IV. Les actions regroupées sous le nom MONALISA – MObilisation NAtionale pour la Lutte contre l’ISolement sont au nombre de quatre infra-pôles :

– Réseaux de visites à domicile auprès de personnes âgées et personnes malades ou handicapées sur le territoire de Grand-Poitiers, Grand Châtellerault (une soixantaine de personnes visitées)/Soutien aux réseaux du Vouglaisien et du Civraisien

– Les réseaux d’appels téléphoniques conviviaux à l’échelle du département de la Vienne (une cinquantaine de personne appelées), avec un groupe d’écoute à Montmorillon et un à Poitiers

– Les activités collectives intergénérationnelles et interculturelles du groupe « Bouche à oreilles » sur le quartier des Couronneries à Poitiers ; Les ateliers numériques à destination des Seniors et des personnes handicapées sur le département.

– Le transport solidaire pour les personnes fragiles sur le châtelleraudais, (100 chauffeurs et 300 bénéficiaires). Depuis septembre nous avons ouvert ce transport au moins de 60 ans. Une extension sur Poitiers et Buxerolles est en cours, ainsi que sur d’autres territoires de la région

PERIODE du Covid-19, mise en place dès le 16 mars d’une plate-forme d’appels conviviaux renforcée et d’une plate-forme d’aide aux courses (Vienne et Sud Deux-Sèvres)

Ces actions Monalisa font que nous avons tout un programme autour de l’insertion via le bénévolat.

En savoir plus :

Association CIF-SP Solidaires entre les Âges

Sites : https://cif-sp.org

Page facebook : @cif-sp

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Restriction d’accès des Personnes âgées en réanimation !

Patients âgés refusés en réanimation, résidents d’établissements type EHPAD décédés faute de soins… On apprend désormais chaque semaine l’importance des conséquences du cumul de l’âgisme et de l’état de pénurie des lieux de soins et de prendre-soin, gérontologiques notamment.

Le Canard enchaîné du mercredi 22 avril évoque même une circulaire officielle visant à limiter l’accès à la réanimation des patients fragiles et/ou âgés.

Nous relayons ci-dessous l’article que Dominique Vidal vient de publier sur son blog du site Mediapart à ce sujet, qui reflète tout à fait nos questionnements et inquiétudes.

Euthanasie ? Non : Euthanasie !

« Dans son édition du 22 avril, le «Canard Enchaîné» révèle une information gravissime: une circulaire aurait appelé le 19 mars les hôpitaux à limiter l’accès des personnes «fragiles» à la réanimation. Avec les conséquences qu’on imagine.

Il y a quinze jours, dans ce même blog, sous le titre « Euthanasie ? », j’écrivais : « Selon des informations convergentes, dans un certain nombre d’hôpitaux, on pratique un choix parmi les malades, les plus gravement atteints, souvent les plus âgés, étant abandonnés à leur sort au profit des plus jeunes, jugés plus aptes à surmonter la maladie. Sans parler de la mort solitaire de milliers de pensionnaires des EHPAD. Je ne dois pas être le seul à qui cette méthode, même “justifiée” par l’urgence et l’insuffisance des moyens, rappelle de terribles souvenirs ».

Après avoir rappelé le génocide nazi des handicapés et malades mentaux en 1939-1941, j’ajoutais : « Comparaison n’est évidemment pas raison. Mais je veux mettre en garde contre ce que d’aucuns appellent déjà le “tri” comme s’il s’agissait d’une démarche normale. Non, elle n’est pas normale ! Outre les poursuites auxquelles s’exposent ceux qui les mettent en œuvre, ces pratiques, quelle qu’en soit l’explication conjoncturelle, nous replongent dans l’horreur. Certes, aucun des médecins français en cause ne partage l’idéologie darwiniste de l’élimination des “bouches inutiles”. Mais l’euthanasie reste l’euthanasie. » (Je ne pensais évidemment pas au choix volontaire que chacun de nous doit avoir le droit de faire.)

Avec l’enquête publiée par La Canard enchaîné mercredi dernier, il faut, hélas, retirer le point d’interrogation et le remplacer par un point d’exclamation : non plus « Euthanasie ? », mais « Euthanasie ! » Car les morts que je dénonçais ne seraient plus seulement le résultat des choix terribles auxquels ont dû se résoudre des médecins débordés par l’afflux de personnes âgées gravement atteintes par le Covid-19 et démunis des moyens nécessaires pour toutes les intuber et les ventiler, mais la conséquence d’UNE CIRCULAIRE VENUE D’EN HAUT !

Selon notre confrère, cette circulaire du 19 mars aurait limité l’accès à la réanimation des « personnes fragiles ». Et, en quelques jours, les patients de plus 75 ans en réanimation seraient passés de 19 % à 7 %, et ceux de plus de 80 ans de 9 % à 2 %. Jugez-en grâce au fac-similé de cet article :

Le président de la République, son Premier ministre, son ministre de la Santé et le Directeur général de celle-ci doivent répondre à trois questions simples :

Cette circulaire existe-t-elle ?

Qui l’a signée ?

De combien de personnes « fragiles » a-t-elle entraîné la mort ?

J’ajoute une question destinée à mes consœurs et confrères journalistes : pourquoi la plupart des médias n’ont-ils pas – quitte à la contester – relayé cette information ?

Selon les réponses apportées par les autorités, il convient que le Parlement constitue SANS ATTENDRE une commission d’enquête, dont les résultats devront éventuellement déboucher sur un procès, s’il le faut devant la Cour de justice de la République.

Lorsque nous avons publié, grâce à Mediapart, notre « Manifeste des vieilles et vieux réfractaires », signé par des centaines de personnes, certains nous ont reproché d’« exagérer ». Nous n’imaginions pas que nos formules choc refléteraient la réalité tragique de plusieurs milliers de morts sur ordonnance… d’État.

Après l’hécatombe, involontaire, de la canicule de 2003, voici celle, partiellement volontaire, de l’épidémie de 2020. Les responsables de ces morts provoquées en masse doivent être punis pour que plus jamais un pouvoir politique débordé, impuissant et irresponsable ne puisse recourir à des moyens aussi barbares.

Faut-il le rappeler ? « Tu ne tueras pas », affirme le sixième Commandement. »

Dominique Vidal.

https://blogs.mediapart.fr/dominique-vidal/blog/260420/euthanasie-non-euthanasie

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Le virus de l’âgisme

Nous relayons cet article du journal Le Devoir, en remarquant une fois de plus, en comparaison de ce qui se publie au Canada, le silence des médias français sur la question de l’âgisme.

(La pétition à laquelle Martine Lagacé fait référence dans cet article est en ligne ici : Il faut mettre fin à l’âgisme.)

Le virus de l’âgisme

« L’expression « boomer remover » — disons l’équivalent de « vireur de vieux » — pour décrire la pandémie ou le coronavirus est apparue il y a quelques semaines sur les réseaux sociaux. Le mot-clic #BoomerRemover a vite fait oublier le déjà désolant « OK boomer » popularisé l’année dernière.

Passées les ides de mars, le Urban Dictionary, traquant les mutations à chaud en langue anglaise, précisait que le terme semblait surtout utilisé par les millénariaux « puisque la COVID-19 est plus dangereuse pour les personnes âgées ». Une des subtilités de la définition rajoutait que des jeunes adoptaient ce synonyme de la maladie mortelle parce que la génération de l’après-guerre « a démontré peu de respect pour la nature et l’environnement ».

Ah bon. Nous en sommes donc là.

La professeure Martine Lagacé de l’Université d’Ottawa traque les manifestations de l’âgisme dans nos sociétés depuis des années et de tous bords, dans les médias comme les mentalités. Celle-là ne lui a évidemment pas échappé.

« L’âgisme peut parfois être de l’ordre de l’inconscient, dit-elle. Quand François Legault dit qu’il veut protéger les personnes âgées, il est certainement de bonne foi, même si on peut facilement verser dans l’infantilisation avec de telles formules. Par contre, sur les médias sociaux, depuis quelques semaines, on voit vraiment s’afficher une sorte de haine à l’égard des plus âgés. L’expression boomer remover dit bien que plus ces personnes disparaissent, moins ça nous coûtera cher en soins de santé ou en pensions et plus il y aura de postes disponibles pour les plus jeunes. »

Et s’il s’agit d’une blague, elle n’est pas drôle et en dit beaucoup sur les farceurs, rajoute la sérieuse spécialiste, en rappelant que l’humour est toujours un puissant véhicule de stéréotypes.

Mme Lagacé nous invite d’ailleurs à nous poser la simple question suivante : à propos de quel autre groupe culturel, religieux, ethnique ou racisé de nos sociétés trouverait-on acceptable de laisser circuler un slogan haineux pareil ? Accepterait-on le mot-clic « bon débarras bébé » si un virus s’en prenait aux enfants ?

« Moi, ma réponse, c’est non. Déjà là, on atteint un paroxysme sans précédent. #BoomerRemover a été retiré après deux semaines d’usage intensif, mais, encore une fois, on tolère un vocabulaire de la haine explicite par rapport aux personnes âgées qu’on ne tolérerait jamais par rapport à d’autres groupes sociaux. »

Comme la bêtise

La spécialiste des communications a commencé, avec quatre étudiantes au doctorat, à colliger et à codifier de quelle façon les réseaux sociaux et les médias traditionnels traitent des aînés dans la crise. Une observation préliminaire lui laisse déjà penser que les plateformes en ligne ont très peu parlé des vieux finalement, ou juste en mal, ou une fois la tragédie devenue incontournable. « On disait par exemple que les 70 ans et plus ne devaient pas sortir, en tombant dans une forme d’infantilisation. On a célébré le courage des familles, des petits-enfants, mais les personnes âgées, elles, sont arrivées dans le discours public la semaine dernière seulement, avec la crise dans les CHSLD. »

À force de constater les signes de cette discrimination systémique, la professeure de communications et sa collègue des sciences de la santé Sarah Fraser ont écrit une lettre ouverte (« L’urgence de mettre fin à l’âgisme »), maintenant signée par une cinquantaine de professeurs canadiens et européens. L’appel a été repris sur les plateformes du Devoir. Son texte dénonce pêle-mêle le mépris envers les aînés, le regard et le vocabulaire infantilisant que l’on projette sur eux, comme la situation épouvantable dans les centres de retraités, avec des cas concrets ici et ailleurs.

L’âgisme, comme la bêtise, semble largement répandu dans le monde. En Italie, quand le système de santé a commencé à devoir trier les patients, selon un triste impératif de médecine de guerre, les choix se faisaient ouvertement sur l’âge plutôt que l’état de santé des patients. « Donc, les stéréotypes sont tellement profonds qu’être vieux veut automatiquement dire être malade ? demande la professeure de l’Université d’Ottawa. C’est une question. Je n’ai pas de réponse. Mais, pour moi, cette crise est un formidable tournant dans nos sociétés, qui doivent repenser leur lien au vieillissement. Est-ce que tout ça finalement ne cache pas une profonde anxiété, une peur de vieillir ? »

L’isolement, c’est la mort

Judith Gagnon, présidente de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées, dénonce à son tour les dérives profondes révélées avec force par la crise en développement. Comme si le virus avait agi en révélateur de nos quatre vérités. Elle donne l’exemple précis du manque de solidarité intergénérationnelle, ou plutôt du partage et de la compassion à sens unique.

« Notre société demande beaucoup aux aînés de rendre service, dit-elle. Ils gardent les enfants de leurs enfants. Ils aident les familles. Ils font du bénévolat. Mais l’aide aux aînés, elle ? En fin de vie, on les parque dans une résidence et on les oublie en se disant qu’on n’a plus besoin de s’en occuper. Ce système est pourri. Notre société devient compartimentée. On isole les aînés et ils ne font plus partie du groupe. Or, l’isolement, c’est la mort. »

Le réseau des CHSLD concentre cette cruelle réalité. Un seul résident sur dix y reçoit des visites régulières de ses proches. Et pour la professeure Lagacé, la catastrophe pandémique ne pouvait qu’y frapper dur et fort.

« La crise est arrivée rapidement, c’est vrai, dit-elle. Mais on avait vu la Chine, l’Iran, l’Italie, et les données de l’Organisation mondiale de la santé avertissaient que les gens plus âgés étaient plus à risque. Il me semble que la première chose qu’on aurait pu faire, c’est de s’assurer de la protection des CHSLD comme points vulnérables. »

Le constat peut même s’étendre. Au fond, la Belgique, la France, l’Italie, l’Ontario ou les États-Unis ne réussissent pas vraiment mieux que le Québec à protéger leurs plus vieux en ce moment. Le virus « vireur de vieux » fait son œuvre partout en Occident parce que, partout, le même âgisme l’a laissé faire son chemin néfaste et funèbre.

« Quand on parle de société démocratique et égalitaire pour tous, est-ce qu’on n’a pas oublié les grands aînés de nos sociétés ? demande en conclusion Martine Lagacé. Je me pose la question. Nos dirigeants disent maintenant que les aînés sont une priorité. J’aurais bien aimé entendre ça il y a dix ans. »  »

Stéphane Baillargeon

https://www.ledevoir.com/societe/577349/le-virus-de-l-agisme

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Les «vieux» et la COVID-19, de mauvais messages

Nous relayons cet excellent article de Pierre Sormany paru en cette fin avril 2020 dans le journal Le Devoir.

(Remarque en passant : pour un article sur l’âgisme dans les médias français, entre cinq et dix au Canada.)

Les «vieux» et la COVID-19, de mauvais messages

 » Depuis le début de la pandémie de COVID-19, on nous martèle le fait que les personnes âgées sont les plus à risque. Non pas plus à risque d’attraper la maladie (ayant en général moins de rencontres sociales, elles devraient même être moins exposées à la contagion), mais plus à risque de souffrir de complications graves ou d’en mourir.

Les données courantes en témoignent : 88 % des victimes de la COVID au Québec étaient âgées de 70 ans ou plus.

Devant ce constat implacable, le premier ministre et son directeur de la Santé publique ont lancé un message clair aux gens de plus de 70 ans : « Restez chez vous ! » Le mot d’ordre, malgré son accent discriminatoire, a été repris dans tous les médias sans qu’on remette en question sa pertinence. Et j’ai même vu, en ondes, des journalistes faire la morale à des personnes âgées qui osaient, oh horreur, faire la file à l’épicerie.

Les « vieux » ne sont pas tous plus vulnérables

La vérité, c’est que si la grande majorité des victimes de la COVID sont âgées de 70 ans et plus, c’est uniquement parce que les gens de ce groupe d’âge souffrent plus souvent de diabète, de maladies cardio-vasculaires chroniques, de maladies pulmonaires (en excluant l’asthme) ou d’autres affections qui minent leur résistance au virus (dont le cancer, notamment). Ce sont ces maladies, et non leur âge qui est en cause.

« Le problème, c’est que quand on parle d’un mort lié au coronavirus, on ne précise jamais la raison pour laquelle il est mort », déplorait le mois dernier Michel Cymes, chirurgien en oto-rhino-laryngologie, plus connu aujourd’hui comme animateur du Magazine de la Santé, à la télévision. « Quand quelqu’un de 85 ans meurt du coronavirus, ce n’est pas le coronavirus qui le tue », mais plus souvent « les complications qui atteignent des organes qui n’étaient pas en bon état », ajoute-t-il.

« Les patients à risque, ce sont ceux qui ont des maladies cardiaques graves, des maladies respiratoires sévères comme des bronchopneumonies chroniques obstructives avancées. Il faut être extrêmement clair sur ce point », confirme Jean-Christophe Lucet, directeur du département d’infectiologie de l’hôpital Claude-Bernard, à Paris.

Selon un bilan sur l’état de santé des Canadiens, paru en 2016, 25 % des personnes âgées de 65 ans et plus souffrent de diabète, contre moins de 7 % chez les autres ; 10 % ont été diagnostiquées pour un cancer, contre environ 2 % chez les plus jeunes ; les maladies cardiovasculaires chroniques affectent près de 30 % de ces personnes, contre environ 4 % chez les moins de 65 ans, et ainsi de suite. Au total, ce sont 41,9 % des personnes de plus de 65 ans qui ont au moins une des pathologies qui les expose aux complications de la COVID.

Si on corrige les données de mortalité pour tenir compte de ces autres facteurs, les personnes âgées de 70, 75 ou 80 ans qui ne souffrent pas de ces maladies (les 58,1 % qui restent) ne sont pas plus vulnérables que les autres. Une personne de 55 ans souffrant d’une maladie pulmonaire ou cardiaque chronique est plus à risque que sa tante joggeuse de 75 ans en parfaite santé. Et il n’y a aucune raison pour appliquer à son intention des mesures de confinement différentes de celles qu’on demande à la population dans la force de l’âge.

Alors, plutôt que de presser les « vieux » de « rentrer chez eux », il serait plus pertinent de s’adresser aux gens qui ont des conditions de santé qui les rendent vulnérables, quel que soit leur âge ?

Une manifestation criante d’âgisme

Je me permets ici une comparaison. Le New York Times nous apprenait, le 7 avril dernier, que le coronavirus infectait et tuait les Noirs américains à un taux beaucoup plus élevé que pour la population blanche. À Chicago, par exemple, les Noirs forment moins du tiers de la population, mais ils comptent pour plus de la moitié des cas de COVID, et pour 72 % des décès. Et le journal cite les données de plusieurs États américains qui confirment cet écart. Aurait-on accepté qu’un responsable de la Santé publique utilise ces statistiques pour enjoindre tous les Noirs à « rester chez eux » ?

Les données épidémiologiques sont utiles pour faire ressortir les différences de vulnérabilités entre les groupes. Mais on doit ensuite faire l’effort d’analyser l’ensemble des co-facteurs, pour comprendre d’où proviennent ces écarts.

Dans le cas des Noirs américains (et des communautés d’origine hispanique, elles aussi plus vulnérables), on découvre alors que les travailleurs de ces communautés sont beaucoup plus présents dans les fonctions de service (chauffeurs d’autobus, serveurs de resto, employés d’entretien) qui les ont exposés très tôt à la contagion, sans possibilité de télétravail. Et surtout qu’ils présentent, collectivement, un bilan de santé beaucoup moins bon, ce qui les prédispose aux complications. Cette réflexion, Anthony Fauci, ancien directeur de l’Institut national de l’allergie et des maladies infectieuses aux É.-U., aujourd’hui responsable du groupe de la stratégie américaine contre la COVID, l’a clairement partagée, dans une vidéo remarquable.

Ne pas faire cette analyse, et s’en tenir à des recommandations globales à partir de données brutes, c’est donc faire de la mauvaise science, ouvrir la porte à la discrimination. Si, par exemple, on décidait de lever progressivement les mesures de confinement en ciblant d’abord les jeunes, comme l’évoquait le Dr Horacio Arruda dans les premiers jours d’avril, j’inciterais les personnes âgées en santé à se plaindre devant le Tribunal des droits de la personne. Il n’y a aucune raison qui puisse justifier ce traitement discriminatoire. »

Pierre Sormany

https://www.ledevoir.com/opinion/idees/577307/les-vieux-et-la-covid-de-mauvais-messages

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Les vies des vieux valent-elles moins ?

Tandis que se confirment dans les EHPAD des situations dramatiques (de très nombreux et rapides décès) amplifiés par les conditions lamentables, de pénurie grave de moyens, dans lesquels vivent ces établissements depuis des années, un philosophe connu, André Comte-Sponville, tient de douteux propos.

Certes, il est judicieux de rappeler comme il le fait que la santé n’est pas la seule valeur qui compte, que le sanitairement correct ne doit pas faire oublier les droits et libertés, et qu’on ne doit pas protéger les gens malgré eux…

Mais pourquoi faire de cette crise une bataille de la « guerre des âges », opposant ce qui serait actuellement fait « pour les vieux » à la crise économique qui va suivre (et qui dépend de nos décisions économico-politiques, faut-il le rappeler) qui ne toucherait que les jeunes !

Extraits de ses propos, rapportés sur le site de France Inter (https://www.franceinter.fr/idees/le-coup-de-gueule-du-philosophe-andre-comte-sponville-sur-l-apres-confinement ) et sur celui de Le Temps (https://www.letemps.ch/societe/andre-comtesponville-laisseznous-mourir-voulons) :

 » Cent milliards d’euros, disait le Ministre des Finances mais il le dit lui-même, « c’est plus de dettes pour soigner plus de gens, pour sauver plus de vie ». Très bien. Mais les vies qu’on sauve, ce sont essentiellement des vies de gens qui ont plus de 65 ans. Nos dettes, ce sont nos enfants qui vont les payer.

Le Président, pour lequel j’ai beaucoup de respect, disait « la priorité des priorités est de protéger les plus faibles ». Il avait raison, comme propos circonstanciel pendant une épidémie. Les plus faibles, en l’occurrence, ce sont les plus vieux, les septuagénaires, les octogénaires. »

[…]

 » En quoi les 14 000 morts du Covid-19 sont-ils plus graves que les 150 000 morts du cancer ? Pourquoi devrais-je porter le deuil exclusivement des morts du coronavirus, dont la moyenne d’âge est de 81 ans ? Rappelons quand même que 95 % des morts du Covid-19 ont plus de 60 ans. »

[…]

 » Avec la récession économique qui découle du confinement, ce sont les jeunes qui vont payer le plus lourd tribut, que ce soit sous forme de chômage ou d’endettement. Sacrifier les jeunes à la santé des vieux, c’est une aberration. »

[…]

« Ce sont nos enfants qui paieront la dette, pour une maladie dont il faut rappeler que l’âge moyen des décès qu’elle entraîne est de 81 ans. Traditionnellement, les parents se sacrifiaient pour leurs enfants. Nous sommes en train de faire l’inverse ! « 

Etc.

Soulignons juste deux points :

– Si le virus est responsable de toucher et de tuer un certains nombres de gens, quand on ne peut parvenir à les soigner, il n’est en rien responsable d’une crise économique. Il ne dépend que de décisions humaines (politiques) de faire que la pandémie ne soit pas suivie par une crise et que cette crise ne touche pas plus les jeunes que les autres catégories de la population.

– Au-delà de l’opposition idiote et dangereuse entre « les jeunes sacrifiés » et les « vieux sauvés », de tels propos laissent entrevoir une conception de la valeur de la vie des personnes qui est fonction de leur âge. On la pensait, cette conception, chez les philosophes, enterrée avec les derniers philosophes nazis qui la professaient dans les années 30.

Il faut donc le rappeler : la valeur de la vie d’une personne ne dépend pas de son âge.

Ajout :

Comte-Sponville rejoint d’autres voix, dont celle du journaliste Christophe Barbier qui, dès février, lançait en ces termes la question sur bfm-tv : « Jusqu’où pour protéger la population on prend le risque d’une crise économique […] mais à un moment donné pour sauver quelques vies de personnes très âgées, on va mettre au chômage quelques milliers de gens ? »

« Mais la vie n’a pas de prix », répartit la journaliste Adeline François.

Réponse de C. Barbier : « Et bah voilà ! La vie n’a pas de prix, mais elle a un coût pour l’économie. Et cet arbitrage là, dans l’ombre, dans la pénombre des cabinets ministériels, il faut bien à un moment donné l’envisager… »

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Âgisme et tensions intergénérationnelles en période de Covid-19

L’Académie de médecine vient de rendre un avis intitulé « Âgisme et tensions intergénérationnelles en période de Covid-19 ».

(Première fois à notre connaissance que ce terme est employé par ce type d’institutions, ce qui illustre une avancée, modeste mais réelle, dans la prise conscience de l’importance de cette discrimination.)

Lecture à compléter, pour plus de nuances et de précisions, par celle de l’article :

Les « vieux » et la COVID-19, de mauvais messages

(Ce qui rend fragile : les maladies, plus que l’âge…)

Âgisme et tensions intergénérationnelles en période de Covid-19

Quelques recommandations de l’Académie nationale de médecine

En France, l’âge moyen des malades infectés par le SARS-CoV-2 est de 61 ans : un tiers des malades ont plus de 65 ans, 25% entre 65 et 74 ans et 8% plus de 75 ans. Mais c’est dans cette dernière tranche d’âge que s’observent 74% des décès, reflets des comorbidités et de l’état de dépendance.

Par-delà ces données statistiques incontestables, la médecine apporte une vision plus circonstanciée du phénomène de vieillissement.

Les personnes âgées ne constituent pas un groupe homogène. L’âge ne peut pas se résumer au seul nombre des années. À âge égal, les séniors d’aujourd’hui sont bien différents de leurs aïeux. Leurs performances physiques et intellectuelles correspondent à celles de personnes plus jeunes de 10 à 15 ans de la génération précédente. Toutefois, si la diminution des réserves physiologiques, l’accumulation des maladies chroniques et la perte de fonctionnalités dans la vie quotidienne sont le lot de tous, l’avancée dans le troisième âge affecte la population de manière très inégalitaire.

Le Covid-19 suscite de l’âgisme, défini par le Larousse comme « une attitude de discrimination ou de ségrégation à l’encontre des personnes âgées ». Le contexte épidémique actuel dans lequel le risque de mourir peut être confronté à une limitation des ressources fait le lit de tensions intergénérationnelles. Apparues en Chine, elles se sont ouvertement révélées en Israël et au Royaume-Uni par des décisions imposant la séparation des grands-parents de leurs petits-enfants ou la mise en confinement des ainés pour 4 mois. Le fossé s’aggrave quand on souligne que les séniors, qui ne contribuent plus directement au développement de l’activité économique du pays, bénéficient d’une rente-retraite…

Cette confrontation intergénérationnelle, attisée par la crise sanitaire actuelle, n’a pas que des aspects négatifs ; elle est l’occasion de rappeler le rôle essentiel joué par les séniors sur le plan familial, associatif et sociétal, ainsi que l’impérieuse nécessité de leur garantir la protection et le respect qui leur sont dus.

L’Académie nationale de Médecine recommande :

de ne jamais utiliser le critère d’âge pour l’allocation ou la répartition des biens et des ressources ; si un rationnement des moyens thérapeutiques s’impose, le choix doit se baser sur des critères physiologiques, cliniques et fonctionnels afin d’obtenir les meilleurs résultats à court et long termes ;

de substituer la notion de « distanciation physique » à celle de « distanciation sociale » pour mieux faire comprendre que l’observation des gestes barrières n’implique pas de s’isoler du monde mais qu’elle permet de continuer de communiquer autrement ;

d’accorder une attention particulière aux adultes âgés les plus vulnérables et fonctionnellement atteints résidant en institution de long séjour et de veiller à ce qu’ils continuent de bénéficier de tous leurs droits.

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Âgisme et tensions intergénérationnelles en période de Covid-19

Il est suffisamment rare qu’une instance telle l’Académie nationale de médecine parle d’âgisme que nous tenions à relayer leur communiqué.

Âgisme et tensions intergénérationnelles en période de Covid-19
Communiqué de l’Académie nationale de médecine
18 avril 2020

En France, l’âge moyen des malades infectés par le SARS-CoV-2 est de 61 ans : un tiers des malades ont plus de 65 ans, 25% entre 65 et 74 ans et 8% plus de 75 ans. Mais c’est dans cette dernière tranche d’âge que s’observent 74% des décès, reflets des comorbidités et de l’état de dépendance.

Par-delà ces données statistiques incontestables, la médecine apporte une vision plus circonstanciée du phénomène de vieillissement.

Les personnes âgées ne constituent pas un groupe homogène. L’âge ne peut pas se résumer au seul nombre des années. À âge égal, les séniors d’aujourd’hui sont bien différents de leurs aïeux. Leurs performances physiques et intellectuelles correspondent à celles de personnes plus jeunes de 10 à 15 ans de la génération précédente. Toutefois, si la diminution des réserves physiologiques, l’accumulation des maladies chroniques et la perte de fonctionnalités dans la vie quotidienne sont le lot de tous, l’avancée dans le troisième âge affecte la population de manière très inégalitaire.

Le Covid-19 suscite de l’âgisme, défini par le Larousse comme « une attitude de discrimination ou de ségrégation à l’encontre des personnes âgées ». Le contexte épidémique actuel dans lequel le risque de mourir peut être confronté à une limitation des ressources fait le lit de tensions intergénérationnelles. Apparues en Chine, elles se sont ouvertement révélées en Israël et au Royaume-Uni par des décisions imposant la séparation des grands-parents de leurs petits-enfants ou la mise en confinement des ainés pour 4 mois. Le fossé s’aggrave quand on souligne que les séniors, qui ne contribuent plus directement au développement de l’activité économique du pays, bénéficient d’une rente-retraite…

Cette confrontation intergénérationnelle, attisée par la crise sanitaire actuelle, n’a pas que des aspects négatifs ; elle est l’occasion de rappeler le rôle essentiel joué par les séniors sur le plan familial, associatif et sociétal, ainsi que l’impérieuse nécessité de leur garantir la protection et le respect qui leur sont dus.

L’Académie nationale de Médecine recommande :

de ne jamais utiliser le critère d’âge pour l’allocation ou la répartition des biens et des ressources ; si un rationnement des moyens thérapeutiques s’impose, le choix doit se baser sur des critères physiologiques, cliniques et fonctionnels afin d’obtenir les meilleurs résultats à court et long termes ;

de substituer la notion de « distanciation physique » à celle de « distanciation sociale » pour mieux faire comprendre que l’observation des gestes barrières n’implique pas de s’isoler du monde mais qu’elle permet de continuer de communiquer autrement ;

d’accorder une attention particulière aux adultes âgés les plus vulnérables et fonctionnellement atteints résidant en institution de long séjour et de veiller à ce qu’ils continuent de bénéficier de tous leurs droits.

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Il faut mettre fin à l’âgisme

18 avril 2020

Un collectif d’universitaires (canadiens, mais rejoints par quelques francophones européens) publie dans le journal Le Devoir ce texte collectif que l’Observatoire de l’âgisme bien évidemment partage :

L’âgisme est solidement imprégné dans la culture occidentale, et les attitudes envers les aînés sont souvent teintées de préjugés et de fausses croyances. Les modèles politiques annoncent et énoncent le vieillissement d’une population comme une menace, voire un poids lourd à gérer pour l’économie. Paradoxalement, la voix des aînés est peu présente sur la place publique, comme en témoigne tristement l’actuelle pandémie. Une pandémie qui accentue la stigmatisation des personnes âgées, notamment par le truchement de discours publics pour le moins troublants qui remettent en question la valeur et la contribution de ces personnes dans la société.

L’un des exemples les plus flagrants de ce que l’on pourrait qualifier de mépris à l’égard des aînés est le fait que les autorités françaises, notamment, n’ont pas comptabilisé le nombre de décès résultant de la COVID-19 dans les maisons de retraite. Faut-il en conclure que leurs décès étaient insignifiants par rapport à ceux des jeunes adultes ? Plus encore, en France comme ailleurs, la pandémie n’a pas été prise au sérieux initialement : le discours public véhiculait le message que la véritable menace ne concernait que les adultes les plus âgés. Ce type de discours a-t-il contribué à une certaine résistance de certains à observer et à respecter la distanciation sociale ? Il est aussi révélateur également que les rares cas de jeunes adultes qui sont décédés des complications de la COVID-19 dans le monde ont souvent généré des reportages médiatiques personnalisés alors que les décès de centaines de personnes âgées ont fait et font encore tout simplement l’objet de données statistiques, lorsque celles-ci sont comptabilisées.

Un regard infantilisant

Outre la fausse représentation de la COVID-19 en tant que « problème des personnes âgées », plusieurs pays ont choisi d’imposer des restrictions très strictes pour ces personnes, leur ordonnant de rester à l’intérieur pendant la pandémie. Même si ces restrictions visaient à les protéger, elles ont, en revanche, exacerbé le problème — préalable à la pandémie — de l’isolement de plusieurs aînés et de ses conséquences physiques et psychologiques. De fait, l’objectif protecteur de ces restrictions s’est parfois traduit par une communication publique condescendante décrivant les aînés comme étant tous des membres « vulnérables » de la société. Par exemple, dans certaines régions du Canada, les personnes de plus de 70 ans étaient invitées à s’inscrire à un « registre des personnes vulnérables ». Dans d’autres régions, de nombreux citoyens âgés de 70 ans et plus et en bonne santé ont déclaré être la cible d’attitudes condescendantes alors que des concitoyens leur indiquaient qu’ils ne devraient en aucun temps se retrouver à l’extérieur, ne serait-ce que pour prendre l’air.

Les éclosions de COVID-19 sont d’abord apparues sur les continents asiatique et européen, au cours de l’automne 2019 et au début de l’hiver 2020. Ce qui se déroulait dans ces régions a été largement diffusé, les médias comme le personnel soignant soulevant de vives inquiétudes devant le nombre de victimes dans les résidences de soins de longue durée. En Italie, par exemple, les soignants ont alerté les gouvernements quant à la sécurité des résidents de ces centres, plaidant pour davantage de personnel et d’équipement de protection et incitant les pays à demeurer vigilants et, d’ores et déjà, à protéger cette population.

Pour autant, force est de constater aujourd’hui que de nombreux établissements de soins de longue durée au Canada n’ont pas été en mesure de gérer, voire de limiter l’impact du virus. Avons-nous été lents, voire négligents, à préparer la réponse à la COVID-19 afin de réduire le nombre de victimes dans les établissements de soins de longue durée ? Plusieurs de ces centres manquaient déjà cruellement de ressources bien avant la pandémie de la COVID-19, celle-ci n’ayant qu’aggraver la situation en matière de protection des résidents. Pourquoi aura-t-il fallu une crise avec des conséquences plus que désastreuses pour les résidents et les soignants de ces centres pour que désormais nos dirigeants évoquent l’importance et l’urgence de s’occuper des aînés ?

Une responsabilité partagée

Les données canadiennes indiquent que la plus grande proportion de porteurs de la COVID-19 se retrouve chez les jeunes adultes et qu’en outre, les personnes de moins de 60 ans représentent une part importante des hospitalisations (y compris aux soins intensifs > 35 %). Les jeunes adultes ne sont donc pas à l’abri de ce virus et partagent la responsabilité de sa propagation. Une attitude désinvolte envers les directives de santé publique augmente le risque pour tous, quel que soit l’âge. En d’autres termes, la COVID-19 n’est pas une « maladie de personnes âgées », ses effets se répercutant dans l’ensemble de la population. Nous devons tous contribuer à limiter sa propagation.

En tant que chercheurs mais aussi défenseurs des droits des personnes âgées, nous exprimons une vive inquiétude devant les attitudes âgistes qui s’expriment consciemment ou inconsciemment durant cette pandémie. Les taux de mortalité élevés chez les personnes âgées peuvent avoir des conséquences dévastatrices qui ne devraient pas être minimisées. Ce n’est pas seulement une question de perte de vies humaines, qui, en soi, est une tragédie, les conséquences de cette perte le sont tout autant : les aînés sont des membres inestimables de la société. Ils sont une source de connaissances et de sagesse générationnelle, ils participent à la force de l’économie tout autant qu’à la qualité des liens familiaux.

Bien que la pandémie de la COVID-19 ait mis en lumière les dérapages de l’âgisme, nous sommes convaincus qu’elle constitue aussi un tournant pour revoir nos attitudes envers les aînés et pour bâtir une société véritablement inclusive pour tous les âges.

* Ce texte est signé par une quarantaine de spécialistes:
Martine Lagacé, Université d’Ottawa

Sarah Fraser, Université d’Ottawa

Bienvenu Bongué, Université Jean-Monnet, France

Ndatté Ndeye, Université Jean-Monnet, France

Jessica Guyot, University Jean-Monnet, France

Lauren Bechard, Université de Waterloo

Linda Garcia, Université d’Ottawa

Vanessa Taler, Université d’Ottawa

Stéphane Adam, Professor, Université de Liège, Belgique

Marie Beaulieu, Université de Sherbrooke

Caroline D. Bergeron, Institut national de santé publique du Québec

Valérian Boudjemadi, Université de Strasbourg

Donatienne Desmette, Université catholique de Louvain, Belgique

Anna Rosa Donizzetti, Université Frederico II, Italie

Sophie Éthier, Université Laval

Suzanne Garon, Université de Sherbrooke

Margaret Gillis, Centre de longévité international, Canada

Mélanie Levasseur, Université de Sherbrooke

Monique Lortie-Lussier, Université d’Ottawa

Patrik Marier, Centre de recherche et d’expertise en gérontologie sociale (CREGÉS), Montréal

Annie Robitaille, Université d’Ottawa

Kim Sawchuk, directrice & Constance Lafontaine, Directrice adjointe, Groupe Ageing + Communication + Technologies, Université Concordia

Francine Tougas, Université d’Ottawa

Membres du Groupe de travail sur l’inclusion sociale et la stigmatisation (Consortium canadien en neurodégénérescence associée vieillissement)
Melissa Andrew, Université de Dalhousie

Melanie Bayly, University de Saskatchewan

Jennifer Bethell, Toronto Rehabilitation Institute

Alison Chasteen, University de Toronto

Valerie Elliot, University de Saskatchewan

Rachel Herron, Brandon University

Inbal Itzhak, Consortium canadien en neurodégénérescence associée vieillissement

August Kortzman, University de Saskatchewan

Colleen Maxwell, University de Waterloo

Kathy McGilton, Toronto Rehabilitation Institute –UHN

Laura Middleton, University de Waterloo

Debra Morgan, University de Saskatchewan

Megan O’Connell, University de Saskatchewan

Hannah O’Rourke, Université de l’Alberta

Natalie Phillips, Université Concordia

Margaret Pichora-Fuller, Université de Toronto

Kayla Wallace, Université de Saskatchewan

Walter Wittich, Université de Montréal

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Agisme et pandémie

Nous relayons également ici, en ce contexte particulier, une itw de Juliette Pellissier, vice-présidente de l’Observatoire de l’âgisme, paru il y a quelques jours sur Altermidi.

Juliette Pellissier: “Se battre pour une société respectueuse de tous ses membres”

A. Il y a eu la canicule en 2003, le coronavirus en 2020, on constate à 17 ans d’intervalle que les personnes âgées sont toujours les premières à faire les frais de ce type d’événement, quelle analyse faites-vous de la situation ?

JP. Commençons juste par distinguer deux aspects. Un fait brut : ce sont les personnes les plus physiologiquement fragiles qui sont davantage vulnérables à des épidémies, à des conditions climatiques extrêmes, que ce soit dû à leur grand âge ou à leur état de santé. C’est une réalité socio-politique : quand ces personnes, en temps normal, vivent déjà isolées, elles sont très nombreuses à vivre très isolées comme en 2003, dans des conditions difficiles par les manques de lieux adaptés et de professionnels dans les institutions collectives, tout nouveau facteur de risque, virus, canicule, etc, vient exacerber ces situations de grande vulnérabilité et les rend dramatiques.

A. Face au manque de moyens matériels et humains, des voix s’élèvent pour s’inquiéter du sort réservé aux résident-e-s dans les EHPAD et autres établissements spécialisés. L’État n’a rien anticipé, comment expliquer ce phénomène ?

JP. Du coup ce n’est pas une inquiétude, c’est une certitude. Quand en temps habituel le prendre-soin se fait en situation de pénurie, dans une forme permanente d’urgence, de manque de moyens, en personnes comme en formations, en lieux adaptés comme en réflexions, en temps de crise, ça implose. Et ça implose particulièrement dans les Ehpad, mais aussi aux domiciles, souvent inconnus, invisibles, de vieilles personnes très isolées, qui ne bénéficient pas de l’attention — relative — portée à l’hôpital. Les lieux type Ehpad restent négligés, surtout quand on mesure que le seul moyen qu’une crise pareille n’y sème pas le chaos aurait été, dès qu’on a compris que c’était là que vivaient des populations particulièrement à risques, d’engager un plan de grande ampleur, avec une augmentation massive de personnes, protégées et protégeantes, pour prendre-soin de ces populations.

A. En Italie, une note confidentielle médicale indiquait clairement les choix à faire entre les patients à sauver et les autres. Aux États-Unis, on conseille de ne pas réanimer les personnes trisomiques, handicapées et les vieux pour économiser les moyens. En France aussi, les soignant-e-s ont à choisir, qu’est-ce que cela traduit de la société et du monde dans lequel on vit ?

JP. Un double problème : d’abord celui de l’opacité des choix. Oui, des choix sont faits pour l’accès aux soins, y compris en temps habituels, des choix sont faits aux urgences, etc. Le plus souvent, ils sont laissés aux individus et ne sont pas issus d’une réflexion à plusieurs. Quand réflexions il y a, car il y en a, puisque ça a parfois été anticipé, par exemple, que le nombre de places en réanimation ne permettrait pas d’y accueillir tous les malades, elles restent là aussi opaques, prises dans des petits cénacles d’experts ou de technocrates. Pourtant, on le sait, la seule manière dont une population pourrait accepter, parfois, certains choix, serait qu’elle participe pleinement aux réflexions qui y conduisent. Ce n’est jamais le cas.

Ensuite, il y a la question des critères qui varient selon les époques. À toutes les époques, dans l’Occident moderne, ce sont toujours les plus fragiles socialement, les plus pauvres, les plus isolés, les plus ostracisés en temps habituel, qui sont les plus rapidement sacrifiés. Là aussi, la crise n’invente rien, elle révèle et exacerbe. Là aussi, rien de nouveau, en France, c’est toute l’année que des gens âgés et malades meurent à domicile ou en Ehpad par « perte de chances », mauvais accès aux soins, manque de professionnels, etc.

Ce qui est nouveau, par rapport à d’autres époques, c’est que ce n’est pas assumé, pas explicite. Quand ça doit l’être, quand notamment c’est porté sur le devant de la scène par des sujets à la mode tels que les algorithmes des voitures automatiques qui devront décider qui sacrifier, par exemple, entre deux piétons qui traversent en plein milieu de la route, alors ça révèle les hiérarchies sous-jacentes que j’évoquais. Toutes les vies n’ont pas la même valeur et il vaut mieux être d’âge moyen, actif, responsable de famille pour être du bon côté.

A. Les personnels hospitaliers se sont mobilisés des mois durant, notamment au niveau des urgences, pour dénoncer leurs conditions de travail, la casse de l’hôpital public, les coupes budgétaires, y-a-t-il un lien direct avec le fait que les professionnels des hôpitaux et des autres lieux de vie sont débordés et ont du mal à affronter la pandémie ?

JP. Oui, je le redis : quand on travaille, en temps normal, en situation de pénurie, à flux tendu, au bord permanent de l’épuisement et du découragement, une goutte d’eau fait tout déborder. Alors quand la goutte d’eau est un violent torrent…

A. Vous qui prenez soin de nos aîné-e-s à travers vos recherches, vos réflexions et votre pratique, comment voyez-vous la suite? Quel est le chemin à prendre ?

JP. Honnêtement, aucune idée. Je crois qu’il est essentiel, y compris justement en situation d’urgence et de crise, de maintenir de la pensée, des pensées, des réflexions, à plusieurs, tous ensemble, pour ne pas être que dans l’agir. Mais je crois aussi que ce n’est pas le meilleur moment pour parvenir à penser clairement la suite. La suite de quoi ? On ne sait pas encore quelle va être la réelle ampleur de cette pandémie. Mais le chemin à prendre, vous l’évoquiez, avait commencé à être pris : il va falloir plus que jamais continuer à se battre pour que les lieux de soins et de prendre-soin soient à la hauteur des enjeux d’une société qui se veut théoriquement respectueuse de tous ses membres, quels que soient leur âge ou leur situation sociale.

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Juliette Pellissier est écrivain. Elle est docteure et chercheuse en psychogérontologie, autrice notamment de plusieurs ouvrages consacrés au prendre-soin et à la place de la vieillesse et des personnes dites âgées dans notre société.

Propos recueillis par Piedad Belmonte

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